Euh… Re ?
La dernière fois que j’ai écrit une ligne sur ce blog, nous étions en janvier 2021. J’espère que vos flux RSS n’ont pas pris peur en voyant un revenant sortir de sa tombe. Bref. Pipi et Netflix, c’est parti.
Vous n’êtes pas en savoir qu’en 2023, les bons éco-gestes pour sauver le climat de la catastrophe déjà en cours propulsée par des riches décomplexés, incluent de manger moins de viande, trier ses déchets, faire pipi sous la douche, et bien entendu : vider ses mails.
Vider ses mails ? Comment ça ?
Je suis toujours mal à l’aise quand une personne plus ou moins conscientisée par les enjeux de l’écologie comment à regarder d’un mauvais oeil mon archivage compulsif de chaque courriel reçu. En réalité, ce n’est pas compulsif : tout comme il est de bon aloi de conserver des fiches de paie, factures du médecin et échéancier du fournisseur d’éléctricité, je considère nécessaire de conserver leurs versions numériques.
Mis bout à bout, ces mails accumulés année après année représentent peut-être quelques Go de données soigneusement hébergées sur un serveur de mon association.
Maintenant, si vous êtes quelqu’un de « normal », vous avez une boîte mail qui ne se situe non pas dans votre association, mais chez Google. GMail, pour être exact. Et il faut trier vos boîtes GMail. C’est écrit partout, entre « éteindre la lumière » et « utiliser une gourde plutôt qu’une bouteille d’eau ».
Je vais devoir enfoncer quelques portes ouvertes, mais il me semble qu’au sein des courants un temps soit peu matérialistes [1], on sait très bien que l’immense majorité de la pollution est issue de secteurs entiers de l’industrie, et que plus on est riche, plus on pollue. Sans chercher à bannir les petits gestes, on sait que ceux-ci ne font pas la différence.
Pas encore, pas maintenant.
Et bien entendu, il s’agit encore une fois de pénaliser l’individu et non le système.
Parce qu’en fait : c’est quoi le problème avec nos mails ?
Nos mails, c’est virtuel. Donc d’une manière ou d’une autre, c’est de la donnée. De la donnée « en trop », qu’on ne peut pas se payer le luxe de conserver compte tenu de l’urgence climatique. Ça prend de la place, donc plus de serveurs, donc plus d’énergie. Et vous savez ce qui pollue le plus au monde ? La production d’électricité [2]. Vos mails tuent les pingouins, CQFD.
Les PowerPoints “FW: TR: FW:FW: INCROYABLE PHOTO!!!!! La nature est magique” de mamie tuent les pingouins. Ah bah c’est bien mamie, super pour la calotte polaire. Génial ! Je te remercie ! Elle est foutue, c’est pas grave, hein ? Non mais c’est dingue ! [3]
Qu’on s’entende : je serais ravi de ne plus recevoir ces e-mails. Et d’ailleurs, éco-geste, je ne les archive pas, ceux-là. Cependant, vous savez ce qui prend plein de place sur les serveurs de Google entre deux mails de mamie ? Les données personnelles.
Et alors là, Google ne s’encombre pas d’essayer de revoir le chiffre à la baisse. Il faut bien comprendre qu’on parle d’une quantité telle qu’on ne peut plus l’exprimer en Giga ou en Téraoctets. Le fameux « Big Data », non content d’utiliser les mails que vous écrivez pour vous proposer une pub sponsorisée en haut de votre boîte GMail [4], est un énorme gouffre à puissance de calcul et de stockage.
Et alors, en plus, du côté des entrepreneurs, des entreprises et autres droitards innovateurs en puissance, le Big Data, ça a le vent en poupe. C’est trop stylé. Moins que l’IA et les cryptos, mais quand même, c’est puissant.
Vous vous rendez compte ? On peut deviner si vous attendez un enfant, avez prévu de déménager (et où), êtes malade, avez changé de travail… Tout ça sur la base de vos recherches, consultations, et votre historique en général ! Avec des armes partenaires stratégiques tels que Facebook, Whatsapp, Instagram, Twitter, Google et dérivés ; le tout combiné à une paire de trackers de chez Amazon, on va vous en cibler, de la pub.
Et la publicité en ligne, c’est le nerf de la guerre. Vous faire voir le bon post au bon moment, c’est se garantir un ROI [5] de qualité. L’offre est grande, le tir doit être précis. Chaque affichage compte.
Ce n’est pas un secret ou un complot. C’est le marketing aujourd’hui.
Et pour le coup, je peux même dire que je sais de quoi je parle. J’ai été présent à des réunions avec des commerciaux qui proposaient ce type de service - j’ai flippé dans mon fauteuil. C’était normal, pour eux. Parce que vous n’êtes pas des individus, juste des cibles marketing très bien affinées. Littéralement, une immatriculation unique dans une base de données, rattachée à des informations.
Il faut comprendre ce point de vue, d’ailleurs. Certes, à l’échelle de l’individu, le fait que vous soyez ciblé par une pub peut vous paraître inquiétant. Le fait qu’une entreprise ait pu estimer que votre compagne était certainement enceinte (vous êtes identifié comme homme + vous avez fait des recherches sur les maternité près de chez vous + vous avez lu un blog sur la parentalité + vous avez regardé le prix des poussettes sur Amazon) pour mieux vous proposer d’acheter le meilleur lait maternel, c’est un peu effrayant.
Alors que du point de vue de l’agence web qui vous cible, on s’en fiche de cette conclusion. L’essentiel n’est pas de le savoir, vous n’êtes qu’un numéro. L’essentiel est de pouvoir le savoir. Pour ensuite vendre ce service de marketing ciblé à d’autres entreprises.
Et pour ce faire… il faut, donc, de la donnée. De la bonne, grosse donnée. En masse.
Soudain, la question écologique ne se pose plus. Si comme moi, vous utilisez un bloqueur de publicité en naviguant, vous ne vous en êtes peut-être pas rendu compte, mais c’est de la folie. Les sites sont remplis d’intégrations publicitaires. Le grand public, et nous aussi dans une moindre mesure, naviguons sur des sites rendus de plus en plus lourds uniquement du fait de l’ajout constant de tracking et d’affichage publicitaire.
Leur serveur stocke des trackers en tous genres, qui siphonnent de la donnée pour la stocker dans des datacenters. Ces même datacenters que vous devez libérer de vos honteux, égoïstes e-mails. Pour… faire de la place pour plus de Big Data ?
La réalité des données qui prennent tant de place, elle est ici. Voilà ce qui se cache derrière l’argument du « 7è continent » que serait « le numérique mondial ».
Un peu de cartographie s’impose alors. Vous pouvez rayer de la carte une énorme partie de ce nouveau continent. Une zone immense où personne n’habite. Un titanesque désert aride, champ de caméras, qui n’ont pour seul intérêt que d’essayer de deviner qui voit qui, quoi, où, quand, et pourquoi.
Dans le seul but de lui refourguer un aspirateur, un t-shirt, ou une formation en coaching de coach.
Et en parlant de caméras… Vous connaissez Netflix ?
Netflix, et le streaming en général, ce sont les nouveaux e-mails à trier. Factuellement, le streaming consomme effectivement énormément de bande-passante et de stockage. Il faut dire que Netflix a plusieurs miroirs disposés un peu partout pour être au plus près des clients [6] ; et qu’il en faut, de l’espace, pour stocker un catalogue aussi large. De surcroît, en plusieurs qualités différentes. [7] [8]
Soit, le streaming prend de la place sur ce fameux continent du numérique, et consomme son lot d’énergie. Cependant, c’est un service utilisé massivement. Il y a donc une forme d’échelle à prendre en considération. C’est beaucoup d’énergie, mais c’est aussi pour beaucoup de monde.
Il y a sans aucun doute des pistes d’amélioration. En attendant, le bilan carbone du streaming a encore récemment été brandi en comparaison aux avions.
Dans le milieu de l’aviation, il est désormais de bon aloi de critiquer le numérique, qui est « deux fois plus » polluant que l’aérien [9]. D’ailleurs, au Salon du Bourget, il a bien été répété que « ce n’est pas encore assez », qu’il faut trouver des « solutions » pour une aviation plus « verte ».
Une aviation électrique, par exemple [10].
Électrique, comme l’est le numérique… qui pollue plus que l’aviation. Suivez un peu, c’est de la pensée complexe.
J’ironise. J’exagère même un peu.
Toujours est-il que l’aviation pollue peut-être « deux fois moins » que le numérique, mais que 50% de la pollution émise par celle-ci l’est par 1% de la population [11]. Je pense pouvoir affirmer qu’Internet est utilisé par plus de 1% de la population mondiale.
Sur ces bases, si on osait imaginer qu’Internet est utilisé par plus de 4% de la population, ça justifierait déjà largement que son fonctionnement consomme 2 fois plus d’énergie, non ? [12]
J’ironise encore peut-être un peu trop fort.
Reste que Netflix n’est pas le seul usage du numérique. Ce n’est donc pas tout le continent à lui seul. Il en représente une importante partie, mais c’est absurde d’en faire le miroir des jets privés.
Comme démontré plus haut, une bonne partie de ce nouveau continent au bilan carbone désastreux, selon les plus grands pollueurs du monde, découle en réalité pour bonne partie des mauvaises pratiques de ces mêmes grands pollueurs. Ceux qui possèdent les serveurs, et les bourrent de données ramassées au moindre de nos faits et gestes. Ceux qui sont ensuite ravis de payer une fortune leurs Data Analysts, ou une agence de marketing ciblé, pour nous vendre de la fast-fashion. Ceux qui veulent que « l’IA » grossisse toujours plus [13]. Ceux qui se font kiffer sur les cryptomonnaies, qui sont des pompes à puissance de calcul. Ceux qui veulent toujours plus de solutionnisme et de croissance, toujours plus de moyens de faire toujours plus de profit, avec toujours plus de données. Ceux-là sont à des kilomètres devant Netflix, et à des années lumières devant nos boîtes mail.
C’est pourquoi toute cette posture contre le numérique est un parfait enfumage, faux-combat poussé par ceux-là même qui en tirent le pire. C’est pourquoi cet argument ne sera jamais recevable tant que les premiers responsables n’auront pas été stoppés dans leur élan délétère.
Pour finir, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas écrit. Les petits gestes comptent. Nous sommes la somme d’un tout. Alors, n’oubliez pas, pour sauver la planète, triez vos mails, et faites pipi sous Netflix.
ADDENDUM en [8]
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Au sens philosophique, commencez pas à croire que je parle des collectionneurs de signes extérieurs de richesse. ↩︎
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https://www.riav.fr/quels-sont-les-secteurs-les-plus-polluants/ - c’est un exemple, y en a plein, avec des chiffres plus ou moins grand ; au pire ça reste très polluant, même si ce n’est pas le n°1, donc avançons. ↩︎
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Chaque fois que j’y pense, je m’étrangle. Des pubs basées directement sur vos correspondances privées, proposées directement dans l’interface où vous les avez. Et ça passe. ↩︎
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Retour sur Investissement. Le calcul : Chiffre d’affaire / Coût de l’opération. Cela permet de savoir grossièrement combien chaque euro investi a rapporté. ↩︎
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https://www.futura-sciences.com/tech/actualites/internet-ce-cache-serveur-netflix-101556/ ↩︎
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https://www.clubic.com/mag/actualite-789772-netflix-encodage-meilleure-qualite-baisse-debit.html ↩︎
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Petit addendum suite à une remarque très juste de mon lectorat : Netflix ne consomme en réalité pas beaucoup comparé à ce qui est proposé. Je cite : « ton article en source montre qu’UN serveur de cache contient tout le catalogue, ça consomme pas tant que ça UN serveur et il sert le publique autour de lui, l’usage en BP est donc essentiellement local. Il y aurait ~40 serveurs de cache Netflix en Fr, c’est que dalle ». S’ajoute à cela qu’en effectuant mes rapides recherches pour cet article, j’ai pu constater que l’entreprise s’employait à trouver des moyens de toujours réduire les ressources nécessaires pour un résultat identique. Ce qui est normal, ne serait-ce que par pure recherche de profit, en réduisant les coûts d’infrastructure. ↩︎ ↩︎
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https://fr.linkedin.com/pulse/num%C3%A9rique-vs-aviation-cest-quoi-le-pire-pierre-rouviere ↩︎
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https://www.lepoint.fr/economie/salon-du-bourget-il-y-a-de-l-electricite-dans-l-air-16-06-2019-2319215_28.php ↩︎
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https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/aerien-1-de-la-population-mondiale-cause-la-moitie-des-emissions-de-co2-1266064 ↩︎
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Après je sais pas, je suis un peu nul en maths. ↩︎
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Et l’IA, elle mange des données pour être perfomante. ↩︎