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Internet, c'est la rue
Jul 2, 2023

En cette fin de semaine de soulèvements des quartiers populaires, alliés à une partie de la gauche radicale, suite à l’inexcusable exécution d’un mineur à Nanterre par un agent de police, le message que les autorités commencent à envoyer est clair : il faut couper les « émeutiers » des plateformes qu’ils utilisent.

Ces jeunes en pleine manifestation de leur colère et célébrant sur les plateformes le soulèvement auquel ils participent, posent problème. À travers leurs nombreuses publications sur Twitter, Snapchat, TikTok, ils montrent ce qu’il se passe. Ils disent ce qu’ils font. Ils appellent les autres à les rejoindre. Leurs publications sont vecteurs d’empathie, portent sur la toile leur parole, montrent la réalité telle qu’ils l’observent, font sortir des quartiers leur quotidien pour l’étaler de gré ou de force sur les timelines de tout un chacun.
Et ça, ça pose problème.

C’est alors que d’une voix unique à l’écho boomerisant ; le gouvernement des start-ups nations ; celui qui recevait un Elon Musk fringuant pour tapoter sur la croupe des fameuses Licornes avant la parade du Choose France, blâme les plateformes. Ces réseaux sociaux sont des vecteurs dangereux. Ces start-ups du digital, pourtant meilleures mains à serrer pour un gouvernement macroniste, doivent ployer sous la poigne de Beauvau. Elles ont rendu la jeunesse folle, et l’aident à détruire la France, la République, et nos Valeurs Humanistes.

Mince, alors.
C’est plus les meilleurs, Snapchat et Twitter ?
Fini de sucer Ubisoft aux Pégases ?

Le retournement de la veste technophile pour revenir vers un brun plus « vieille France » a cela d’amusant qu’il émane d’un gouvernement qui veut transformer nos sites pornos préférés en police de proximité [1]. Tel le contrôle d’identité au croisement de deux bâtiments, vient celui au croisement de deux URLs. Pendant qu’au Sénat, on valide la prise de contrôle à distance de nos smartphones par des malwares « professionnels » qualifiés « d’armes de guerre ». Pendant qu’on remet en question le droit de chiffre les données. Pendant qu’en amont des JO 2024, on autorise la présence de caméras « intelligentes » dans les rues.

Internet n’est que la continuité de la réalité. Quand le RAID est dans les rues, la DGSI est dans les fibres. Internet, c’est la rue. Et quand nous prenons la rue, nous constatons que nous aurions bien besoin de prendre aussi Internet. D’y allumer des feux aux bons endroits. De dresser des barricades où il faut. De semer les bruits de bottes astucieusement.

Quand les autorités ont pris le contrôle de la rue, elles n’ont pas omis de prendre celui d’Internet. Quand on nous a désarmés, on l’a fait partout. Quand on a rajouté des agents de police, on l’a fait partout. Quand on a posé des caméras, on l’a fait partout. Cependant, tout comme cela n’empêche pas la rue de s’embraser, cela ne permet pas de contrôler les flux. Le problème est que ces flux continuent, chaque jour, d’être soumis à un contrôle de plus en plus rigoureux. Plus simple à automatiser, plus invisible, plus insignifiant ; au premier regard, tout du moinds.

Si aujourd’hui, même les plus grands admirateurs de la Silicon Valley parlent de trouver une solution pour faire taire Internet quand il devient trop bruyant, quand il joue son rôle de prolongation du monde réel dans l’espace numérique, alors c’est que c’est un champ de bataille. En fait, ça l’a toujours été. Nous avons seulement, pour beaucoup, profité de l’accueil (opportuniste) de ceux qui en achètent des morceaux. La plupart du temps, quand vous évoluez dans cette rue numérique, vous évoluez dans une galerie marchande. Vous êtes en terrain privé. Et gare à vous si ce terrain venait à jouer le jeu de la répression quand vous faites trop de bruit.

Spoiler : c’est déjà le cas. Double-spoiler : ça peut empirer.

La mort du Web [2] a entraîné un découpage très strict de ce qu’étaient nos espaces de libertés. Internet tel que nous le connaissons est dramatiquement morcelé. Nous en avons été dépossédés. Parce que c’est complexe, parce que c’est intangible, parce que ça fonctionne très bien comme ça la plupart du temps. « Ça fait le taf ».

Les menaces qui pèsent sur notre capacité à continuer à nous exprimer en son sein, en tant que peuple qui jouit du droit inaliénable à y accéder, doit nous inquiéter. Le fait que les technophiles, quand ils doivent brandir leur matraque, soient prêts à l’abattre sur nos serveurs, doit nous affoler.

On entend souvent parler de l’Internet « d’avant » comme étant « le Far West ». [3] La plupart du temps, cette métaphore file vers l’idée folle que ce « Far West » aurait été heureusement maîtrisé par des shérifs [4] - régulations d’État ou multimilliardaires qui y ont trouvé du pétrole. Fini donc de jouer, c’est sérieux désormais, ce sont nos Terres et vous y vivez. C’est un lieu de consommation, pour d’honnêtes citoyens. Gare à ceux qui souhaiteraient retrouver en cet espace le chaos qu’il a autrefois incarné ; d’en faire un moyen de bouleverser l’ordre établi. D’autant plus lorsque cet usage virtuel a des répercussions sur le monde physique. On ne rigole pas avec le monde physique.

À combien d’heures sommes-nous d’un Elon Musk, « fan » d’Emmanuel Macron [5], qui prive les défenseurs des soulèvements populaires en cours de ce réseau [6] ? Quelle est la possibilité que Snapchat s’y plie ? Nous n’en savons rien, c’est aussi le problème des décisions réservées à un conseil d’administration au sein d’une entreprise privée.
Cela dit, nul besoin qu’ils interviennent : dans le pire des cas, la France peut s’inspirer d’autres modèles de privation des droits numériques [7] [8]. Nous sommes déjà en si bon chemin, autant continuer [9]. Il faut « une réponse ferme » après tout.

Internet, c’est la rue. Et la rue, elle est à qui ?



  1. Chacun ses kinks. ↩︎

  2. Un jour, j’écrirai enfin ces 150.000 lignes sur ce que j’appelle ainsi. ↩︎

  3. Bon, en fait, on parle du web en général sans cette métaphore, mais je reprends les termes tels qu’utilisés généralement par celleux qui emploient cette image. ↩︎

  4. J’ai vraiment failli écrire « shérafs » à la place. [10↩︎

  5. https://www.dailymotion.com/video/x8lwgeh - 1:20 ↩︎

  6. Cela dit, vu l’état dans lequel il met sa plateforme sans qu’on ne lui ait rien demandé… ↩︎

  7. https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/09/22/face-aux-manifestations-l-iran-bloque-massivement-messageries-et-reseaux-sociaux_6142722_4408996.html ↩︎

  8. https://www.radiofrance.fr/mouv/manifestations-au-senegal-les-reseaux-sociaux-coupes-8237538 ↩︎

  9. Ce n’est ni Amnesty International, ni la Ligue des Droits de l’Homme, ni l’ONU qui diront le contraire. ↩︎

  10. Tu connais pas « Shéraf » ? C’est un groupe, ils étaient number one. ↩︎