Pas de grande nouveauté ici, mais il faut dire que plus ça va, moins ça va. Après les attentats de Paris, il y a eu un basculement façon Patriot Act de la gestion d’Internet et de l’ingérance de celui-ci par nos entités étatiques. Nos tours jumelles à nous, c’est le Bataclan. Et ce qui tombe bien, c’est que notre directeur de la NSA à nous de l’époque, c’était Manuel Valls. Un charmant homme de la gauche radicale qui allait bien entendu défendre les libertés du peuple de France, libertés qui étaient justement les cibles figuratives des endoctrinés de Daesh venus massacrer des innocents.
Non.
Comme chaque fois que des dingues tirent à balle réelle sur des citoyens, la réaction démocratique à tenir est celle de la perte de libertés. Car tous les citoyens sont des terroristes potentiels, il faut donc les traiter comme des terroristes potentiels. À la manière d’une figure royaliste, notre gouvernement estime que le peuple est trop stupide pour se gérer par lui-même et ne sait pas ce qui est bon pour lui. Pour le coup, en marche, gauche, droite, droite, gauche, c’est le même topo. Et donc, il faut contrôler les communications. Et donc, contrôler les supports. Et donc, Internet.
Si le droit d’auteur a longtemps été l’excuse idéale pour contrôler l’incontrôlable toile, c’est devenu plus facile avec la montée du TeRrOrIsMe, le fantôme même pas blanc qui vient jusque dans nos femmes et nos compagnes égorger nos bras pour abreuver ses sillons. Rompetonplon [1]. Cela étant, le droit d’auteur reste une excellente excuse, comme le montre le fameux « article 13 » de la directive relative au droit d’auteur européen, dont il a été débat récemment, qui octroie un avantage considérable aux plateformes multinationales que sont Google ou Facebook face aux petits acteurs, bien incapables de relever le défi de la censure du filtrage automatisé.
S’ensuit, en 2015, passage en état d’urgence. 2016, toujours en état d’urgence. 2017, fin de l’état d’urgence. Et pour cause : la loi antiterroriste mise en vigueur le 1er novembre 2017 n’est rien d’autre qu’un état d’urgence permanent [2]. Dans cette loi, on décrit par exemple l’obligation de fournir ses identifiants : e-mail, Facebook, ou Twitter… On met en place des boîtes noires pour sniffer tout le trafic et détecter d’éventuels comportements suspects [3]. Mais si cela renforce la surveillance et la violation de la vie privée des internautes, il n’y est pas question de censure. Cela dit, durant l’état d’urgence, la procédure de fermeture de sites dits « à caractère terroriste » a été facilité violemment, passant par une censure administrative accélérée, sans juge [4]. Un beau pied dans la porte.
En 2018, heureusement, faute d’attentats marquants en France, une proposition a été faite pour que la loi antiterrorisme soit… renforcée. YES. Au programme : plus de censure arbitraire, plus de filtrage automatique, et plus d’acteurs géants prenant encore plus de pouvoir de par leur capacité unique à respecter des exigences intenables.
Ce texte sécuritaire prévoit d’imposer plusieurs obligations aux hébergeurs, et notamment le retrait en moins d’une heure des contenus signalés. Il banalise la censure policière ou privée et donc le contournement de la justice. Il fait des filtres automatiques – justement au coeur du débat sur la directive droit d’auteur – la clé des politiques de censure à l’ère numérique. − La Quadrature du Net, 12 septembre 2018 [5]
Et nous sommes encore en 2018, à l’aube d’un 2019 où l’on verra un nouveau projet aboutir. Dans les points précédents, la censure a été facilitée, et le pouvoir des géants du web ainsi que leur capacité à survivre pendant que tous les petits acteurs vont mourir face à des obligations légales trop lourdes, irréalistes et inutiles. Eh bien, en 2019, avec un bon espoir pour mai, l’Union Européenne travaille main dans la main avec Google et Facebook pour rédiger une nouvelle loi de protection antiterroriste visant encore une fois le web.
L’alerte a été lancée cette semaine par La Quadrature du Net, qui est presque seule sur le sujet actuellement. Les négociations, à l’instar des (pas) regrettées ACTA, SOPA, PIPA, ont eu lieu en secret. C’est logique : ce sont des lobbys discutant avec des états, qui cela pourrait-il regarder ?
L’idée est simple : Google et Facebook vont se charger de surveiller ce qu’il se passe en ligne, et censurer le nécessaire avec l’aval de l’Europe. Ce sont des multinationales américaines qui font tout pour avoir une pate sur le territoire [6] [7], nous allons leur demander de gérer notre web. Le web. La multitude de sites existants, à la quantité aussi grande qu’imaginable, peut-être plus.
Pourquoi tant de secret ? Probablement parce que ce texte, écrit en collaboration avec Google et Facebook, aura pour effet de soumettre l’ensemble du Web à ces derniers, à qui l’État abandonne tout son rôle de lutte contre les contenus terroristes. La collaboration annoncée lundi par Macron entre l’État et Facebook n’en est que le prémice, aussi sournois que révélateur. […] Ce texte consacre l’abandon de pouvoirs régaliens (surveillance et censure) à une poignée d’acteurs privés hégémoniques. Pourtant, la Commission et les États membres, en 146 pages d’analyse d’impact, ne parviennent même pas à expliquer en quoi ces obligations pourraient réellement être efficaces dans la lutte contre le terrorisme. − La Quadrature du Net, 14 novembre 2018 [8]
Que dire ? La Quadrature, qui est allée rencontrer les ministères incriminés, le résume très bien :
Quand nous avons dit aux ministères que leur texte détruirait l’ensemble du Web décentralisé, ne laissant qu’une poignée de géants en maîtres, on nous a laissé comprendre que, oui, justement, c’était bien le but. Tranquillement, nos interlocuteurs nous ont expliqué que Google-Youtube et d’autres multinationales numériques avaient convaincu le gouvernement que la radicalisation terroriste était facilitée par les petites et moyennes plateformes, et qu’il fallait donc laisser la régulation du Web aux seuls géants prétendument capables de la gérer. Où sont les preuves de cette radicalisation plus facile en dehors de leurs plateformes ? Nulle part.
Je ne sais pas ce qui sera fait pour sauver nos fesses de cet immonde chantier, mais je suis sûr que j’aurai l’énergie pour participer. Et j’espère que chacun⋅e d’entre-vous le sera aussi, même si je n’ai aucune idée de si quelqu’un me lit… ;)
Pour SOPA et PIPA, Google, Reddit, Wikipedia, et tant d’autres sont devenus noirs pour sensibiliser au risque de la censure arbitraire. Nous ne pouvons pas compter sur eux cette fois : ils seront les seuls survivants du cataclysme (en tout cas, Google). J’aimerais lancer un petit bout de projet : #OnATousUnSite. Parce que je suis sûr qu’on a tou⋅te⋅s un site web qu’on est l’un⋅e des seul⋅e⋅s à consulter, et qu’on détesterait voir disparaître. Un hashtag, ou un site qui référence tout, j’en sais rien. Et je la prête à qui la veut, cette volonté. Du moment qu’à la fin, on sauve le web, moi, je m’en fiche de qui devient le nouveau Ruffin.
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Comic relief nationaliste, à prendre 3 fois par jour. ↩︎
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https://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/le-projet-de-loi-antiterroriste-accuse-d-etre-un-etat-d-urgence-permanent_1946881.html ↩︎
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https://www.lemonde.fr/pixels/article/2017/10/03/loi-antiterroriste-de-multiples-mesures-qui-etendent-le-domaine-de-la-surveillance-numerique_5195554_4408996.html ↩︎
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https://www.latribune.fr/economie/france/apologie-du-terrorisme-fermeture-des-premiers-sites-internet-461331.html ↩︎
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https://www.laquadrature.net/2018/09/12/reglement_terro_annonce/ ↩︎
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https://fr.wikipedia.org/wiki/Bouclier_de_protection_des_donn%C3%A9es_UE-%C3%89tats-Unis ↩︎
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https://www.laquadrature.net/2018/11/14/censure-antiterroriste-macron-se-soumet-aux-geants-du-web-pour-instaurer-une-surveillance-generalisee/ ↩︎